[amazon_link asins=’2130654339′ template=’CSCP’ store=’cs066b-20′ marketplace=’CA’ link_id=’2f20ab5c-a953-11e8-88c5-6164699c1427′]Christian Sommer, Mythologie de l’événement. Heidegger avec Hölderlin, Paris, Presses universitaires de France, 2017, 232 p. ISBN: 2130654339
Compte rendu de César Gómez Algarra, Université Laval/Université de Valence (Espagne)
Dans son dernier ouvrage, Christian Sommer développe en profondeur l’interprétation d’une métapolitique chez Heidegger. Il s’agit de mettre en question comment Heidegger, à partir notamment des Beiträge zur Philosophie et des textes des années 1936-1948, tels que les Cahiers noirs et le cours sur les hymnes de Hölderlin (GA 39), a développé jusqu’à ses limites une pensée de l’Ereignis qui surinvestit le tragique du schème conceptuel hölderlinien ; à préparer la fondation d’une politique au-delà du politique et cela, conjointement et inséparablement de la figure du créateur d’État. L’auteur tente alors de mettre à l’épreuve la particularité d’un projet qui lie le mythe, entendu comme Sage, comme Dite, à la volonté du peuple allemand face à l’« habilitation » (Ermächtigung) de l’Être dans l’autre commencement. À partir de cette perspective, Sommer s’interroge sur la « remythologisation » comme réactualisation de la différence logos–muthos, dans un cadre qui dépasse largement les problèmes théologico-politiques plus traditionnels. Néanmoins, en tant qu’hypothèse de travail, il souligne dans l’introduction comment le « théologico-politique » aurait l’avantage de nous permettre une meilleure appréhension du sens propre du projet et du geste philosophique heideggériens, au-delà toutefois du débat classique Schmitt-Löwith-Blumenberg (p. 15). Soulignons déjà que l’œuvre de Sommer déploie dans toute sa rigueur d’une part l’excès de la lecture onto-historiale (seynsgeschichtlich) de Hölderlin et d’autre part comment ce même excès est encore plus remarquable dans les textes posthumes, illuminant en détail ce qui restait non-dit dans les cours exotériques. La pensée de Heidegger tente alors de se frayer une nouvelle voie concernant la vérité de l’Être, se tournant plus violemment contre la métaphysique de l’étant, le monothéisme chrétien et l’imperium rationnel de la technique mondiale. Cette tentative est inséparable d’un projet concernant de façon essentielle l’histoire et l’avenir du peuple allemand, en tant que réactualisation de la grécité comme « peuple métaphysique » et « germano-hespérique ».
Sommer commence par faire le point sur la compréhension du problème du national et du Volk, de l’identité et du « qui ? » du peuple dans les textes de l’époque. Sans tomber ni dans la critique facile ni dans la volonté de défendre Heidegger à tout prix, il s’efforce au contraire de dégager les points essentiels des gestes et des positions politiques de sa pensée. Tout au long de son ouvrage, il insiste sur la dimension onto-historiale de l’engagement politique de Heidegger. Ce qui revient, comme il essaye de le démontrer dans son premier chapitre, « Métaphysique et métapolitique », à voir comment la dimension « nationel » du national-socialisme aurait été (mé)comprise par le philosophe de la Forêt-Noire. Il aurait ainsi poursuivi un effort aussi inlassable qu’hyperbolique pour projeter dans le mouvement une vérité « spirituelle » : plus concrètement, une sorte de « catalyseur » révolutionnaire (pp. 63-64) amené à produire un règne de l’art (Reich der Kunst) propre au peuple de Hölderlin. Mais comment se déploie le lien d’essence entre le peuple et l’État, en tant que son « être historial » ?
Ce passage du peuple à l’État, ce devenir-État (Staatwerdung), n’est envisageable qu’en reprenant les possibilités inaccomplies de la métaphysique, dans la transition vers l’autre commencement (p. 38). L’ancienne métaphysique est alors conservée et dépassée, pensée par un ressouvenir (Andenken) du premier commencement et conduite vers une transformation de l’essence de la vérité et du travail déjà annoncée clairement dans le discours de rectorat. En outre, l’établissement de cet État et le caractère historial de ce peuple ne se révèle qu’à partir d’une décision (Entscheidung) concernant les possibilités contenues dans le poème de Hölderlin : seulement lui indique le chemin vers une pensée hors de la métaphysique traditionnelle. Suivant ce poème, nous sommes amenés à trouver des catégories qui vont au-delà de l’ousia, la substantia, l’étantité, l’objectivité, l’effectivité. L’ouvrage de Sommer est très clair sur ce point et montre à quel point la dépendance hölderlinienne des concepts mobilisés dans le sillage des Beiträge s’avère indépassable. La pensée « post-métaphysique » ou « méta-métaphysique » (p. 39) des modalités (possibilité/Möglichkeit, effectivité/Wirklichkeit et réalité/Realität) est conçue surtout à partir du Devenir dans le périr et des Remarques, comme l’interprète explicitement Sommer, surtout au chapitre II ; de même que la réélaboration de la nature sacrée, du mouvement entre abîme (Abgrund) et chaos, dont le chapitre V consacre son plus long développement. Ces concepts procèdent presque toujours d’une lecture et d’un remaniement violent, d’une « traduction » terminologique (p. 23) par Heidegger des textes du poète.
Selon Sommer, c’est à partir de cette « traduction » terminologique qu’il faut penser la dimension politique. Pour mener à bien le fondement du peuple, il est question aussi d’une avant-garde (Vorbau) qui devrait préparer le terrain « politique ». C’est le problème décisif de la triade aristocratique, aux résonances nietzschéennes, conformée par le poète, le penseur et le fondateur d’État dont, à ce stade-ci, il est aisé de les reconnaître avec un nom propre. Sommer souligne alors que cette triade n’est autre que la « noblesse ou l’aristocratie de l’Être » (Adel des Seyns), concept tout à fait fondamental dans les Beiträge. Malgré les critiques aux notions vulgaires de/du politique (que l’auteur met en relief à plusieurs moments), cette Adel relève bien le fonctionnement de la stratégie métapolitique heideggérienne. Celle-ci passe par la médiation des individus peu nombreux, « créateurs prométhéens » (p. 50), comme éminemment nécessaires pour parvenir à l’autre commencement, passage et déclin vers l’autre histoire. Histoire qui peut arriver et se rendre manifeste que grâce à la triade aristocratique, en tant qu’elle est amenée à fonder l’État, comme espace-temps (Zeit-Raum) dans lequel se déploie la puissance « royale » du poème hölderlinien (p. 53), et non plus l’État de la tradition moderne. Au contraire, il s’agit ici d’une reprise de lapolis qui relie et dépasse le premier commencement par anamnèse, définissant ainsi l’essence du peuple par rapport à la vérité de l’Être (p. 57).
Au sein de ce projet théologico-politique, l’autre commencement est alors présenté comme un mouvement particulier capable de désactiver la conceptualité de la tradition métaphysique occidentale et d’ouvrir un nouvel espace de vérité. Cette pensée, comme nous le montre splendidement Sommer, exige d’aller au-delà de la naturalatine et de la physisau sens grec, voire même de l’aletheia, pour instaurer la terre (Erde) à partir de l’abîme (Abgrund). L’abîme se révèle alors comme fondement sans fondement nécessaire pour la fondation du peuple métaphysique ; non plus s’élevant à partir d’une primauté de l’étant, mais dépassant l’être-devant-la-main (Vorhandenheit) dans l’Être chanté par le poète. Pour que la possibilité de ce peuple puisse se réaliser, il est nécessaire de faire l’expérience de la démesure et de l’hybris de l’Être. Nous constatons ainsi l’inversion de la dialectique « nationale » : face à l’expérience de la sobriété recherchée par les Grecs, l’auteur nous montre la nécessité de la fondation paradoxale du peuple au contact avec la puissance du « feu » de l’Être, jusqu’à des extrêmes funestement catastrophiques. Spécialement catastrophiques parce que Heidegger semble lier le « libre usage du nationel » hölderlinien, théorisé dans sa Lettre à Böhlendorff, au mouvement national-socialiste. Sommer montre comment, pour le philosophe, le mouvement pourrait être en mesure d’assurer l’institutionnalisation dans un État de la mission allemande, mais seulement si ce mouvement est, d’une certaine façon, au service de la tâche philosophique qui doit le diriger vers son but profond et ses possibilités occultes (p. 46 et ss.). Illusion de le réformer sur laquelle Heidegger exprimera sa déception, passant d’un premier rejet sur son « subjectivisme » et son « biologisme », préférant toujours des termes comme Geschlecht à un autre vocabulaire plus marqué (Stamm, Rasse, etc.), à une critique plus ouverte de la dimension « rationnelle » du socialisme comme insuffisamment révolutionnaire face à la machination (Machenschaft) de l’étant (p. 48, 64).
L’importance essentielle de Hölderlin dans cette tentative d’une pensée tragique de l’Être (ou de l’Être comme tragique) tient principalement, comme nous l’avons déjà souligné, à la façon dont il fait signe vers un dépassement de la métaphysique. À partir de certaines œuvres et hymnes du « poète des Allemands », Sommer indique dans la section 4, « La fable de l’histoire », comment Heidegger, en reformulant le différend entre logos–muthos, tente de retourner aux origines de la pensée, dans une reprise parfois idéalisée ou partialisée de la Grèce qui, nonobstant, cherche aussi à la dépasser (aufheben) en la remémorant intérieurement (erinnern) (p. 76). Non pas, de façon réductrice, par un retour du mythe comme irrationnel souvent présent chez les philologues allemands, mais à travers une sorte de « déconstruction ». La puissance transformatrice du « mythe » hölderlinien relève plus précisément de son caractère éminemment « poïétique ». Le poète représenterait alors une nouvelle façon de penser la création et l’imagination en transformant l’idée hégélienne d’une « mythologie de la raison », et en renouant avec le sens « tautégorique » du mythe (Schelling). Sommer nous permet de comprendre comment, aux yeux de Heidegger, Hölderlin est le poète du déclin et de la transition. Il remémore à la fois l’origine grecque et les mots originaires de la langue, tout en rendant sensible cette historicité qui ouvre la porte à l’instauration de l’Être et de son peuple : au travail du philosophe et du fondateur d’État. Le philosophe, attentif à la parole silencieuse du poète, est le seul apte à répondre à ces indications destinales. C’est parce que le poème préfigure et crée un monde nouveau, à travers une langue qui dépasse celle de la logique métaphysique et instaure une nouvelle effectivité, qu’il fait signe vers le rassemblement d’un peuple et de sa tâche onto-historiale. Mais cette tâche n’est pas pensable jusqu’au bout sans l’intervention du ou des dieux, plus précisément d’un dieu « nouveau » ou plutôt différent, qui se détourne de la tradition religieuse et théologique de la métaphysique occidentale. Ce retournement, preuve de l’éternel débat heideggérien avec ses origines, est aussi et surtout la tentative la plus approfondie de penser l’essence de la re-ligion (Rück-bindung) comme du divin qui lie un peuple ensemble. C’est la liaison d’une autre histoire et d’un autre commencement, non plus celle qui surchargea Dieu avec des attributs métaphysiques, mais une qui serait propre à l’« inobjectivité » de l’Être (p. 91).
Sommer consacre de nombreuses pages, mais plus particulièrement le chapitre III et IV, à expliciter la fonction de ce polymorphe « dernier Dieu » ; et non sans raison, puisque nous voyons apparaître en lui la majorité des concepts fondamentaux de la pensée de l’Ereignis. Avec et au-delà de Nietzsche, Heidegger s’est efforcé de penser « productivement » la fuite des dieux de la Modernité et la nécessité des dieux nouveaux après « deux millénaires ». Ce dieu à attendre, qui est justement un ou plusieurs, indéterminé dans la tournure post-métaphysique vers l’à-venir, semble par moments radicalement opposé au Dieu judéo-chrétien. La difficulté à le comprendre tient principalement à ce statut au-delà de l’ontique et du vorhanden, en tant que Dieu non plus objectivable ni réductible à la compréhension métaphysique de l’étant. Contre l’hypostase de Dieu comme cause ultime, raison d’être et origine, ce Dieu ne donne pas l’être mais est d’une certaine façon dépendant de l’Être lui-même. Le dernier dieu constitue ainsi la possibilité d’une nouvelle religion du peuple où la divinité serait désormais non-objective ni représentable. En outre, comme l’ouvrage l’indique de façon très pertinente, il y aurait chez Heidegger une façon radicale de ne pas parler de dieu, de ne plus l’infinitiser ou de l’élever à cause-étant suprême (p. 99). Il n’est au final pas possible pour nous de capter le sens de ce dernier dieu, dieu du devenir, sans mettre en lumière les nouvelles catégories des modalités, mentionnées auparavant, que Heidegger essaye de développer dans les Beiträge et les textes dans son sillage.
Cela conduit non seulement à reprendre l’energeia spéciale à partir du Devenir dans le périr de Hölderlin, mais de faire le saut vers une nouvelle question de la temporalité. Retournant à la problématique divine, l’auteur montre très rigoureusement comment ce dieu est un dieu de la transition comprise comme décadence ; il est désormais « situé » entre l’Être et le néant, apparaissant soudainement dans l’instant (Augenblick). Possible réélaboration du kairós et de l’influence aristotélicienne dans une pensée de l’Ereignis, le dieu arriverait à l’imprévu tout en supposant à la fois et paradoxalement un retour, entraînant une conception de la temporalité circulaire aux traits nietzschéens (p. 116). Non plus l’éternité du Dieu biblico-théologique, mais la finitude et l’immanence au monde d’un dieu en rapport avec l’Être, qui fonde le jeu de l’espace-temps. Autrement dit, le nouveau dieu déploie son essence en se spatialisant et se temporalisant, déployant aussi par-là l’Histoire du peuple.
Ce dieu serait fini, temporellement cyclique, se mouvant toujours entre l’apparaître et le disparaître. Son arrivée signalerait tout autant la fin que le commencement de la nouvelle histoire. Et notons aussi que sans la primauté du Non et du néant face à la positivité du Oui, tout comme leur tension dans le devenir, ce dieu resterait impensable. Il apparaît alors en rapport avec Dionysos, portant le masque protéiforme qui lui est propre, et dont l’influence de Hölderlin, de Nietzsche et de W. F. Otto sur ce point est très prégnante. Symbolisant ou métaphorisant ainsi l’historicité, le dernier dieu, toujours à distance, se « révélerait » polémiquement au Da-sein, à celui qui est ouvert à l’Être comme néant, sorte de renversement par cette voie de la divinité dans la compréhension judéo-chrétienne. Il serait justement chanté par la médiation des hymnes du poète, indiqué par ces signes, comme le dieu attendu du peuple germano-hespérique. Aux antipodes du Dieu d’Abraham, le dieu requérant l’Être est indiqué aussi par la finitude du Da-sein et de son sacrifice. Cette finitude sacrificielle du Da-sein et de l’Être, Sommer le souligne, est aussi reliée avec les figures individuelles de la triade aristocratique que nous avons déjà mentionnée. Avec le sacrifice face au néant de l’Être et son expérience, l’imminence de la venue du dernier dieu doit être provoquée pour permettre de relier la généralité du peuple (p. 129). Le sacrifice des peu nombreux ouvre ainsi le site de la décision, le Da et la polis : nouvelle histoire et destin du peuple métaphysique.
Cependant, comme en rend compte le dernier chapitre, « Terra Mater », le passage du dernier dieu n’épuise pas le sens métapolitique de la pensée de l’Ereignis. Celle-ci doit être complétée par l’expérience d’ouverture à l’abîme du Da-sein ; expérience impossible pour les dieux et pour laquelle ils ont besoin des mortels. Le sacrifice des créateurs, en tant qu’intermédiaires (p. 140), nous permet alors d’appréhender la nature sacrée, déjà théorisée par la poésie de Hölderlin. La terre (Erde), qui fonctionnerait dans l’autre commencement en tant que concept non-métaphysique de la nature, est pourtant inséparable du chaos. Le philosophe de Todtnauberg réélabore ainsi la pensée développée par Hölderlin sur la nature créatrice et poïétique : son caractère sacré et la nature qui engendre tout en laissant quelque chose de voilé. En ce sens, la reprise heideggérienne de l’impensé qu’a été le « chaos » dans la tradition revient à insister, suivant Héraclite, sur son caractère d’ouverture béante, et non simplement comprise comme « vide ». Le chaos fait signe non vers la confusion mais plutôt vers ce pouvoir conflictuel qui reprend le pólemos et l’intimité (Innigkeit) hölderlinienne en tant qu’harmonie des contraires (p. 157). Ainsi, le « chaos de la terre » suppose la fondation dans l’Abgrund : fonder dans l’absence (de principe, origine et de cause) le lieu d’un « monde à venir », afin de rendre la terre habitable au peuple (p. 147). C’est seulement ainsi que sera déployée l’essence impensée de la physis grecque dans le peuple : une nature sans raison qui s’élève au-delà de toute étantité, et même de toute divinité, pour inaugurer dans l’Histoire un nouveau rapport avec l’esprit et la technique (p. 154). Dans tous les cas, c’est dans ce mouvement dionysiaque et héraclitéen que Heidegger conçoit le peuple, ce dernier rendant habitable sa patrie, passant de Heimatà Vaterland, par la « médiation » de la terre, en s’appropriant du paysage bien au-delà du naturel ou du « physique », dans l’alliance tragique de l’unité des opposés qui rassemblent dieux et hommes, le monde et la terre.
Tout au long de l’ouvrage, un fil critique, plus ou moins voilé par moments, peut être repéré : il se révèle avec toute sa force dans sa conclusion, « Après le dernier dieu ». Sommer ne se borne pas tout simplement à une explicitation du projet métapolitique avec un appareil de références extrêmement complet (qui risque de devenir un outil de repérage bibliographique indépassable pour plonger dans les profondeurs du corpus plus récent). Le texte se veut aussi, de façon avouée, l’opération d’un déplacement et d’une possible interprétation en mesure de penser « autrement » la philosophie de Heidegger et ses apories dans les années 36-48. Et cela dans la volonté ferme de comprendre et de faire face à la dimension d’hybris indéniable présente dans la pensée de l’Ereignis. Nous pouvons l’apprécier dans l’extrême difficulté d’envisager l’autre commencement sans dépendre de la tradition conceptuelle du premier commencement, et dans la clarté avec laquelle l’auteur clôt son ouvrage. Ce serait le statut ambigu, par exemple, de la sigétique face à la tradition judéo-chrétienne d’une multiplicité de noms, impossibles à nommer, de Dieu. Mais aussi dans le problématique du surinvestissement révolutionnaire de Hölderlin, et le paganisme complexe et prétendument non-chrétien de Heidegger, relié au travail patient de la terre par le paysan.
Face à ce schème complexe et difficile à retracer, Sommer mène à bien un travail d’organisation immense qui nous permet d’apprécier la difficile constellation de l’histoire de l’Être tout autant dans ses influences que dans ses ramifications et prolongements. Il nous aide à comprendre à la fois la grandeur et le danger de ce que fût la tentative métapolitique de l’histoire de l’Être (dépolitisée progressivement après 1939) et son radical versant eschatologique, qui cherche l’avènement de l’autre commencement à tout prix : même à travers le feu, la guerre et la destruction. L’œuvre de Sommer nous offre donc une analyse rigoureuse et féconde de la période qui va des années 30 à 40. Bien que présentant un accès difficile pour les lecteurs qui ne sont pas (du tout) familiers avec l’œuvre du « second » Heidegger, le livre fait preuve d’un effort interprétatif remarquable par rapport à la place que nous devons accorder à l’Ereignis et à l’Être dans le schème conceptuel, tragique, de ces textes denses et obscurs. Tout cela, sans complaisance ni aveuglement, dans un moment polémique pour les études heideggériennes, est preuve suffisante du fait que Mythologie de l’événement nous indique une voie très intéressante, féconde et utile pour des travaux futurs.