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Jean-Luc Marion, Certitudes négatives. Paris : Grasset, 2010; 324 pages. ISBN : 978-2246669319.

Par Claudia-Cristina Serban, Université Paris-Sorbonne (Paris IV). Publié dans Symposium 15:2 (2011).

Jean-Luc Marion présente son dernier ouvrage comme une continuation, voire une conclusion (au moins provisoire) de la phénoménologie de la donation et de la saturation élaborée dans ses livres précédents (notamment Étant donné, De surcroît, Le phénomène érotique et Au lieu de soi1) dans le prolongement desquels l’Avant-propos l’inscrit, en le plaçant sous le signe d’un même dessein de « travailler à un élargissement du théâtre de la phénoménalité2 ». Nous nous concentrerons dans ce qui suit principalement sur l’apport inédit des analyses qui nous sont proposées et sur les infléchissements qu’elles font subir à la phénoménologie de la donation et de la saturation.

L’opérateur central du nouvel élargissement annoncé dès le départ est le concept qui donne le titre de l’ouvrage : celui de certitude négative, désignant, comme nous l’apprenons tout au long de l’ouvrage, la modalité épistémique ou le type d’évidence qui correspond au phénomène saturé, par contraste avec la « certitude positive » que suscite l’opposé même du phénomène saturé, l’objet. L’enjeu de l’introduction de cette nouvelle modalité de la certitude est non seulement de soustraire le domaine de la saturation à la connaissance vague ou incertaine (témoignant d’une adhésion fidèle à l’idéal cartésien de la certitude), mais surtout de briser l’équivalence entre certitude et objectivation. Ce dont on peut être certain n’est pas forcément ce que l’on a réussi à objectiver, et c’est pour cette raison que « la certitude positive » – dont la logique prescrit, au contraire, que « [r]ien ne devient certain qui ne devienne aussi un objet » (CN, 13) – « n’accomplit pas toute certitude » (CN, 15).

De ce concept de certitude négative, renvoyant à la certitude qu’occasionne ce qui n’est pas objet et résiste à l’objectivation, Jean-Luc Marion indique dans l’Introduction de son ouvrage deux avatars plus anciens, deux préfigurations qui sont en même temps censées souligner sa pertinence philosophique : la connaissance cartésienne des « limites de l’esprit (ingenii limites) » selon la huitième des Regulae et la Critique kantienne comme entreprise aboutissant à « une certitude négative de l’impossibilité de certaines connaissances » (CN, 17, 18). C’est toujours de Kant que s’inspire l’invention même du concept de certitude négative : l’Essai pour introduire en philosophie le concept de grandeur négative de 1763 fournirait une première et exemplaire démonstration du fait que « le négatif lui-même peut donner lieu à certitude » (CN, 19). Si la grandeur négative est un type de réalité traditionnellement situé du côté de la privation et du non-être3, que Kant entend de réhabiliter dans sa positivité, c’est-à-dire dans son effectivité, en montrant qu’il s’agit d’une réalité à part entière car susceptible de produire des effets, la certitude négative n’est évidemment pas une catégorie du réel mais nomme la modalité cognitive qui correspond à un certain type de réalité. Et les réalités qui ne prêtent qu’à des certitudes négatives ne sont rien moins que des « grandeurs négatives » au sens de Kant, puisque ce qui les caractérise n’est pas la privation ou la pénurie, mais au contraire l’excès : ce ne sont pas des phénomènes pauvres en intuition4, mais des phénomènes saturés. Aussi, il importe de remarquer que la certitude négative n’est pas, comme pourrait laisser le croire l’invocation des grandeurs négatives kantiennes, la manière dont on connaît le négatif5: c’est au contraire l’éminente et débordante positivité de ce qui, comme nous l’avons déjà souligné, ne se laisse pas objectiver, qui l’appelle.

De cette considération transparaît plus clairement la manière dont l’introduction du concept de certitude négative s’inscrit dans l’horizon de la saturation. Ainsi, les quatre exemples privilégiés qui structurent l’ouvrage – l’homme, Dieu, le don et l’événement – ont en commun le fait de nommer un inobjectivable qui peut néanmoins être source d’un certain type de certitude, bien qu’uniquement négative. L’impossibilité de connaître positivement qu’ils suscitent fait signe vers une impossibilité plus profonde, et c’est la connaissance de cette impossibilité et de la limite qui la trace qui fait éclore la certitude négative. (Nous ne nous attarderons pas dans ce qui suit sur le détail de ces analyses, mais poursuivrons notre objectif qui est de mettre en évidence les apports novateurs de l’ouvrage pour le projet d’une phénoménologie de la donation et de la saturation).

Le rapport entre certitude négative et saturation sous-tend également la distinction maîtresse proposée par Jean-Luc Marion dans son nouvel ouvrage et qui comporte à son tour une résonance kantienne : la distinction des phénomènes en objets et événements, selon le titre du § 27. Cette distinction nous place résolument en terre phénoménologique, dans la mesure où c’est le phénomène qui constitue le concept suprême de la division. Le phénomène n’est plus seulement une rubrique à l’intérieur du domaine de l’objet en général, comme chez Kant6; c’est au contraire l’objet qui désigne à présent une des divisions du champ du phénomène. Les rapports traditionnels entre phénomène et objet subissent donc un renversement. Et si l’objet est devenu par là un concept subordonné, cela signifie surtout qu’il n’épuise pas la phénoménalité (alors que, du moins pour la première Critique kantienne, tout phénomène est objet), qu’il y a des phénomènes qui ne sont pas objectivables et ne se soumettent donc pas aux conditions de possibilité de l’expérience : « Tous les phénomènes ne se réduisent pas à des objets, mais certains adviennent comme des événements » (CN, 276).

De façon assez inattendue, cette hypothèse d’un non-objet est illustrée en un premier temps dans CN à partir du dispositif (kantien) que la nouvelle distinction est censée récuser, par l’exemple de la chose en soi comme noumène au sens négatif, exemple appelé à montrer que Kant lui-même a reconnu une exception à son « concept suprême » d’objet en général. Il n’est pourtant pas certain que, faute d’être un objet des sens ou un objet d’expérience, le noumène kantien, fût-il pris au sens négatif, tombe en dehors du domaine de l’objet en général : il invite peut-être davantage à élargir la sphère des objets à ce qui n’est pas objet de connaissance, donc à aller au-delà du phénomène, dans l’élément raréfié de la pure pensée7. L’intention de Jean-Luc Marion semble en même temps bien éloignée d’un tel dessein : il ne s’agit aucunement, dans CN, de quitter le terrain du phénomène, mais bien au contraire d’en faire le sol ultime de toute division ultérieure en confirmant et en appliquant le précepte phénoménologique selon lequel « autant d’apparaître, autant d’être ».

La distinction avancée au § 27 de l’ouvrage posséderait ainsi, à nos yeux, une légitimité plus phénoménologique que d’inspiration kantienne : c’est lorsque l’on a accepté de faire du phénomène un terme ultime qu’« il devient […] licite et au moins non contradictoire de substituer à la distinction des objets en phénomènes et noumènes une autre distinction – celle de tous les phénomènes en objets (phénomènes diminués) et événements (phénomènes saturés) » (CN, 280). L’obédience phénoménologique de la distinction doit en outre s’entendre au sens plus précis d’une conformité au projet de la phénoménologie de la saturation : le partage entre l’objet comme phénomène diminué et l’événement comme phénomène saturé résulte en effet de la mise en œuvre du critère de la saturation.

En même temps, il est à noter que CN entérine au sujet du phénomène saturé la terminologie de l’événement : de ce fait, la phénoménologie de la saturation se trouve implicitement métamorphosée en une phénoménologie événementiale qui en fournirait la variante ultime. Les rapports entre phénomène saturé et événement semblent ainsi réglés au profit d’une synonymie parfaite, sans reste8. Mais puisque l’événementialité nomme aussi le mode de donnée du phénomène en tant que saturé, la distinction de tous les phénomènes en objets et événements peut également se présenter comme une distinction seulement modale (c’est ce que suggère aussi, plus loin, l’importante avancée d’une « variation herméneutique » (CN, 304) que connaît la phénoménalité et qui peut faire apparaître, successivement, dans un même phénomène, l’objet et l’événement). Dans cette perspective, « [l]’objet et l’événement s’opposent comme deux figures de la phénoménalité, l’une à la mesure de ce que je peux en constituer activement, l’autre à la démesure de ce que je ne peux que recevoir » (CN, 281). La métamorphose événementiale de la phénoménologie de la saturation poursuit donc inlassablement sa critique de la phénoménologie constituante9 ou transcendantale.

Le passage au premier plan de l’événement, pour autant qu’il « accomplit […] la propriété essentielle du phénomène » (CN, 283)10, commande en outre l’élaboration d’une « nouvelle table des phénomènes » (CN, 301 n.1), censée ajuster la topique du phénomène proposée par le § 23 d’ED11 afin de la restituer dans sa vraie complexité. Selon la nouvelle topique présente dans CN, les phénomènes pauvres en intuition (objectités logiques et mathématiques) et les phénomènes de droit commun (objets des sciences de la nature, objets techniques) se regroupent sous la même catégorie de phénomènes du type de l’objet, par opposition aux phénomènes du type de l’événement qui comprennent les phénomènes saturés simples (qui reprennent la quadripartition de la table kantienne des catégories – selon la quantité : l’événement au sens restreint, selon la qualité : l’idole ou le tableau, selon la relation : la chair, et selon la modalité : l’icône ou le visage d’autrui) d’une part, et les phénomènes de révélation, combinant plusieurs phénomènes saturés, comme le phénomène érotique et la Révélation, d’autre part.

À cette occasion, l’auteur s’emploie aussi à expliciter les rapports entre saturation et événementialité, en insistant sur leur lien indissoluble : « un phénomène se montre d’autant plus saturé, qu’il se donne avec une plus grande événementialité » (CN, 301 n. 1). Il y aurait donc un rapport de proportionnalité directe entre la saturation du phénomène, qui nomme sa teneur en intuition, et le caractère plus ou moins événemential de son mode de donnée. Toutefois, le critère de la teneur intuitive que la saturation met en avant ne veut pas dire que, de l’objet à l’événement, nous soyons passés d’un type d’intuition à un autre (comme, chez Kant, en passant du phénomène au noumène au sens positif), il nous confronte plutôt aux variations d’un même type d’intuition, donc variations d’une même phénoménalité : « l’objet constitue la figure appauvrie de la phénoménalité, appauvrie parce que diminuée en intuition, au contraire de l’événement, phénomène saturé d’intuition » (CN, 302)12. Puisqu’il correspond à une division du champ du phénomène, l’événement ne nomme donc pas l’inapparent, il ne peut pas à proprement parler être comparé au noumène, ou alors, il fournirait la figure hautement paradoxale, oxymorique même d’un point de vue kantien, « d’un noumène qui apparaîtrait » (CN, 302). Cette problématique possibilité d’une apparition du noumène ou de la chose en soi, niée par Kant dans le registre de la raison théorique, se laisse pourtant apercevoir, dans l’espace de la philosophie critique, lorsque est affrontée la question de la causalité par liberté : la résolution de la Troisième Antinomie dans la Critique de la raison pure (relayée sur ce point par l’« Examen critique de l’Analytique » dans la Critique de la raison pratique) ouvre, comme on le sait, la voie d’une double appréhension d’une même action en tant que déterminée et en tant que libre.

S’inspirant de cet acquis kantien crucial, Jean-Luc Marion avance dans CN une thèse fort novatrice dans le contexte de la phénoménologie de la saturation : l’idée d’une variation herméneutique de la phénoménalité, selon laquelle la différence entre l’objet et l’événement serait aussi, en définitive, une différence d’appréhension, analogue à celle qui est à l’œuvre dans l’analyse heideggérienne de l’outil, selon laquelle « le même phénomène (ici le marteau) peut varier du statut d’objet subsistant à celui d’usuel selon la variation de mon regard phénoménologique » (CN, 305). En effet, s’il est admis que la distinction des phénomènes en objets et événements s’enracine dans les variations de l’intuition, un seul pas supplémentaire doit être franchi jusqu’à dire qu’elle est relative au regard qui, actif au sein même de sa réceptivité, enregistre ses variations (comme le prouvent éminemment la pratique artistique13 et l’expérience esthétique). Ainsi, l’intuitionnisme conduirait, comme chez Heidegger, à l’herméneutique, qui semble devenir de cette manière « l’unique instance » (CN, 306), ou en tout cas une instance beaucoup plus importante qu’elle ne l’était auparavant, de la phénoménologie de la saturation.

La question se pose néanmoins de savoir si, par cette insigne concession à l’herméneutique qu’opère CN, renvoyant les oscillations de la saturation aux variations du regard, la référence rectrice au « soi » du phénomène, si précieuse pour ED, n’est pas perdue au profit d’un nouvel engagement transcendantal, voire subjectiviste. Conscient sans doute de ce danger, Jean-Luc Marion demeure assez prudent dans la plupart de ses affirmations, comme le prouve la thèse plutôt faible selon laquelle « la distinction des modes de la phénoménalité (pour nous entre objet et événement) peut s’articuler sur des variations herméneutiques » (CN, 307, nous soulignons). Rien n’indique ici que la nouvelle topique du phénomène aurait sa racine même dans une variation herméneutique : il nous est dit seulement qu’elle est susceptible de s’illustrer par une telle variation ou de se greffer sur elle. Mais cette réserve cohabite avec des assertions plus fortes : « Il ne dépend que de mon regard que même une pierre puisse, parfois, apparaître comme un événement (par exemple si mon pied heurtait un pavé qui dépasse […]) – ou, inversement, que même Dieu puisse parfois apparaître comme un objet (par exemple dans l’idolâtrie et son instrumentalisation politique) » (Ibid.). N’est-ce pas là une révocation implicite de la position d’ED selon laquelle « l’initiative appartient en principe au phénomène, non au regard » (ED, 225)?

Nous laisserons ici ouverte cette question et nous examinerons brièvement, pour finir, la Conclusion de CN, qui a la forme d’un « éloge du paradoxe ». À la fin de l’ouvrage, il devient manifeste que le concept qui fournit son titre opère non seulement un « élargissement du théâtre de la phénoménalité » (selon l’expression déjà évoquée de l’Avant-propos), mais aussi un « élargissement de la rationalité » (CN, 309). La corrélation de ces deux élargissements conduit à une articulation nouvelle entre phénoménologie de la donation et herméneutique : la « détermination des phénomènes comme donnés » aboutit à une « herméneutique des horizons » qui « tend à retranscrire tous les phénomènes de prime abord considérés comme des objets ou des étants en phénomènes originairement donnés, parce que se donnant en soi » (CN, 310, 311). Le rôle de l’herméneutique dans ce contexte est, nous le comprenons, de remonter du phénomène vers son mode de donnée et d’en mettre ainsi à jour le caractère événemential. Mais lorsque l’on passe à la saturation (qui accomplit déjà un élargissement supplémentaire de la phénoménalité), le travail du phénoménologue semble devenir plus « poïétique » (si nous pouvons risquer le terme dans ce contexte) qu’herméneutique : « Cet élargissement ne consiste plus seulement ici en une herméneutique de phénomènes déjà visibles et reçus (les transcrivant de l’objectivité à l’événementialité), mais en l’invention de phénomènes saturés, jusqu’alors méconnus en vertu même de leur excès d’évidence » (CN, 313). En approfondissant l’horizon de la donation, la découverte de la saturation débouche donc sur un nouvel infléchissement du sens même de la démarche phénoménologique.

Il importe toutefois d’aller plus loin, « [a]u-delà d’une herméneutique » du donné et de « l’invention de la saturation » : c’est « le domaine des certitudes négatives » qui offre un « troisième élargissement de la phénoménalité » par un ressort en effet paradoxal, consistant dans un réinvestissement du « motif fondamental de la limitation de la connaissance humaine » (CN, 314). Ce dernier élargissement a donc lieu dans et par la finitude. C’est pourquoi ce qui importe dans une telle démarche qui ressuscite l’esprit de la Critique kantienne14 est pourtant, et avant tout, le résultat négatif : « Toute impossibilité en principe de répondre à une question bien conçue atteste, pour une raison finie, une certitude négative » (CN, 316), affirme l’auteur en soulignant une fois de plus l’intime solidarité qui relie le thème de la certitude négative à une méditation de l’impossible. L’élargissement de la rationalité15 par des certitudes négatives assume ainsi son statut paradoxal16 qu’atteste également la formule oxymorique de l’« infinie finitude » dévoilée par une telle entreprise. Par là, Jean-Luc Marion renoue ouvertement avec le paradoxe kierkegaardien de la pensée qui est de « vouloir découvrir quelque chose qui échappe à son emprise17 ». Au paradoxe phénoménologique de la saturation, thématisé dès ED, CN joint, pour l’expliciter, le paradoxe épistémologique de la certitude négative, et renvoie ainsi le projet de la phénoménologie de la donation et de la saturation à l’effort d’une pensée vouée au paradoxe de mesurer ses forces à l’aune de ce qui leur échappe par principe : l’impossible même.

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1. L’absence, dans cette liste, de Réduction et donation, l’ouvrage qui inaugure la « trilogie de la donation », n’est peut-être pas accidentelle. Nous autorise-t-elle toutefois à penser que, en arrivant à sa provisoire conclusion, la phénoménologie de la saturation se propose de faire l’économie de la réduction ? Il ne nous semble pas : la réduction est encore présente dans Certitudes négatives, surtout dans les analyses portant sur le don, qui réitèrent la « réduction phénoménologique » du don à la donation. Mais en même temps, le deuxième chapitre propose une réflexion sur l’irréductible et fait par là signe vers les limites de la réduction.

2. Jean-Luc Marion, Certitudes négatives (Paris : Grasset, 2010), 9. Par la suite, l’abréviation CN sera utilisée dans le texte.

3. Les exemples de Kant sont divers : de deux forces physiques s’opposant dans l’espace, l’une est une grandeur négative à l’égard de l’autre tout autant que l’ombre est une grandeur négative par rapport à la lumière, le froid par rapport à la chaleur, la haine face à l’amour ou le démérite face au mérite. Cf. Immanuel Kant, Essai pour introduire en philosophie le concept de grandeur négative, trad. par Roger Kempf (Paris : Vrin, 1980).

4. Il est significatif en ce sens qu’en 1781, dans la Critique de la raison pure et dans l’horizon de la suprématie du concept d’« objet en général », les grandeurs négatives se trouveront reléguées dans la table du Rien, dont elles illustrent la deuxième figure : le nihil privativum qui nomme, précisément, le phénomène (très) pauvre en intuition. Cf. Immanuel Kant, Critique de la raison pure, A 292/ B 348-49.

5. De même que la phénoménologie de la donation et de la saturation n’est pas une « phénoménologie négative », mais « la plus positive des phénoménologies ». Cf. Jean-Luc Marion, Étant donné. Essai d’une phénoménologie de la donation (Paris : Presses Universitaires de France, 1997, 1998²), 16-17 n. 1. Par la suite, l’abréviation ED sera utilisée dans le texte.

6. La fameuse distinction kantienne est celle « de tous les objets en général en phénomènes et noumènes », selon le titre du chapitre III de l’Analytique des principes dans la Critique de la raison pure.

7. La table kantienne du Rien semble confirmer cette hypothèse de lecture en identifiant le noumène à l’ens rationis : comme être de pensée, le noumène est encore quelque chose, un ens, bien que son concept soit vide et que de ce manque d’intuition découle, il est vrai, un manque d’objet sensible.

8. C’est vers une telle synonymie que se dirigent aussi les analyses du chapitre II de De surcroît, « L’événement ou le phénomène advenant ». Cf. Jean-Luc Marion, De surcroît : études sur les phénomènes saturés (Paris : Presses Universitaires de France, 2001). Cf. aussi ED, § 17, 225-44.

9. Cela équivaut également à la critique d’une phénoménologie centrée sur le thème de l’intentionnalité, pour autant que l’événement « n’advient pas comme l’effet de notre intention, de notre intentionnalité » (CN, 281).

10. Cette propriété est « de se montrer en soi-même, pour autant qu’il se donne par soi ».

11. Cette première topique, au sein de laquelle l’événement n’est présent qu’en son sens restreint, enregistre trois types de phénomènes : pauvres en intuition, de droit commun et saturés (ou paradoxes : événement, idole, chair, icône et, dernièrement, presque comme relevant d’une topique distincte, le phénomène de révélation comme « paradoxe des paradoxes »). Cf. ED, 309-25.

12. Cf. aussi : « Plus un phénomène apparaît comme saturé (s’événementialise), plus il s’avère saturé d’intuition. Plus il apparaît comme objet (s’objectivise), plus il s’avère pauvre en intuition ». Cela permet de conclure que « [l]a distinction des phénomènes en objets et événements trouve donc un fondement dans les variations de l’intuition » (CN, 307).

13. Le témoignage de Kandinsky est ainsi invoqué par l’auteur au moment même où s’amorce la distinction entre l’objet et l’événement (CN, 271-73).

14. « Car si la connaissance définit du même coup les conditions finies de la possibilité (et donc de l’impossibilité) des objets de la connaissance, il devient non seulement pensable, mais aussi inévitable de déterminer a priori ce qui peut se connaître et ce qui ne le peut pas, et même les questions qui ne peuvent pas et ne pourront a priori jamais recevoir de réponse » (CN, 316).

15. Il est à souligner que, dans CN, cet élargissement se veut neutre : il ne s’agit pas (ou du moins pas directement) d’un plaidoyer pour la « rationalité de la révélation », pour citer le sous-titre de l’ouvrage de Jean-Luc Marion contemporain de CN, Le croire pour le voir. Cf. Jean-Luc Marion, Le croire pour le voir. Réflexions diverses sur la rationalité de la révélation et l’irrationalité de quelques croyants (Saint-Maur : Communio, 2010).

16. La double découverte de la donation et de la saturation provoque déjà, aux yeux de l’auteur, une confrontation au paradoxe : « Reste que reconnaître l’horizon de la donation comme le plus originaire, admettre la banalité de la saturation et constater les certitudes négatives provoque inévitablement au paradoxe » (CN, 317).

17. Søren Kierkegaard, Miettes philosophiques, cité par l’auteur (CN, 317).